Une vie dans des pages

mercredi 7 octobre 2015

Interview Ingrid Desjours ("Les fauves" - Ed. Robert Laffont)


Bonjour Ingrid et avant tout merci de te prêter au jeu des questions/réponses ! Je viens de terminer "Les fauves" et j'en ressors conquise mais également surprise, tes lecteurs le seront également j'en suis certaine alors je te laisse la parole !
 
Bonjour Sandra, merci à toi de me donner cet espace de parole !
 
Tu as choisi pour la sortie de ton nouveau roman, "Les fauves", une façon originale de faire la promo ! Des vidéos* de self défense... Une raison particulière ? (* à retrouver à la fin de l'article)
 
Tout d’abord, je suis une passionnée de sports de combats. Je pratique moi-même le krav-maga et le penchak silat et j’en ressens les bienfaits : ça défoule, ça vide la tête autant que ça fait réfléchir, ça aguerrit… bref, j’adore ! J’ai eu envie de faire découvrir ces disciplines en m’éloignant des clichés habituels qui voudraient qu’elles soient réservées à des gros costauds. On peut être une femme de constitution normale et devenir très efficace pour peu qu’on nous donne les clés !
 
Ce qui m’amène à une autre raison qui me tient à cœur : comme je l’explique dans ces vidéos, les femmes sont les premières victimes d’agressions et se retrouvent souvent désemparées face à leur attaquant. L’idée est de leur transmettre des gestes simples qui ne demandent ni force physique ni maîtrise particulière. Je crois qu’il est important de savoir qu’on peut riposter, qu’on peut s’en tirer… Mais pour cela, il faut montrer aux femmes comment faire, parce que depuis leur plus tendre enfance on les incite à la douceur, à la retenue, mais pas à exprimer leur part de violence, ni à se défendre ou contre-attaquer. C’est un apprentissage qu’elles doivent faire et qui est nécessaire. Pour la confiance en soi, pour ne plus être victime, se dire qu’on a au moins essayé. Je ne saurais que trop recommander à toutes les femmes de s’inscrire à des cours de self-défense…
 
La femme en victime... Dans ce roman la victime désignée est Haïko, mais finalement tout le monde n'est-il pas victime et bourreau, selon l'œil avec lequel on le regarde ?
 
Je dirais même selon l’œil avec lequel on SE regarde… Les bourreaux des uns se considèrent souvent d’abord comme leurs victimes. Considérons les guerres, les soulèvements des peuples… n’ont-ils pas pris racine dans un profond sentiment d’injustice, d’oppression ? Lors de la Révolution Française, le peuple spolié ne s’est-il pas lui-même transformé en monstre quand il a décapité avec frénésie ses bourreaux désignés ? Considérons aussi le discours des voleurs, des violeurs, qui prennent de force ce qui ne leur appartient pas, ne nous opposent-ils pas leur frustration, leur humiliation, leur impression d’être sans cesse lésés, nargués, moqués ?
 
Tout est question de point de vue, et concernant la spirale de la violence, savoir qui est la poule ou qui est l’oeuf est aussi compliqué que se trouver des excuses est facile.
 
Le sujet de ce roman est un sujet d'actualité on ne peut plus sensible en ce moment, comment as-tu eu l'idée de bâtir une intrigue si proche de la réalité ? Une envie d'alerter ? Un sujet qui te tient à cœur ? Ou juste un sujet qu'il ne faut pas ignorer ?
 
Le sujet s’est imposé à moi. Comme beaucoup de personnes j’ai été profondément choquée et affectée par les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher. Et l’onde de choc continue de se propager. En moi, comme en chacun d’entre nous. L’après 7 janvier 2015 a, pour moi, les effets d’une sordide gueule de bois qui ébranle le monde entier, le fait naviguer entre une peur bien compréhensible face à la montée des intégrismes et une paranoïa aux relents de haine qui jette plus d’huile sur le feu qu’elle n’en apaise les foyers. Et nous on est au milieu, pris en otage par des politiques qui agitent les épouvantails qui les arrangent, remontés comme des coucous contre un ennemi qu’on confond avec notre voisin, impuissants, ignorants, terrorisés et pourtant encore pleins de l’espoir que tout ça n’est qu’un mauvais rêve et qu’on va finir par se réveiller…
 
Je vis ici et maintenant, à cette époque. Alors je suis forcément façonnée par ce qu’il se passe, et ce que je crée en porte aussi l’empreinte, les stigmates… Les Fauves est un livre de l’après 7 janvier 2015. Il est organique, vivant, c’est un enfant de cette crise qui nous secoue tous si fort. Il parle de nos peurs : celle de voir tout ce que nous prenions pour solide et acquis s’écrouler, celle de voir nos enfants partir pour des raisons qui nous échappent… Celle d’assister à la chute de notre civilisation.

Tu abordes le sujet dans sa globalité, sans jamais porter de jugement et en amenant toujours le pendant à une situation (le djihad d'un côté, les croisades de l'autre par exemple) Comment peux-tu rester aussi objective ?
 
C’était très important pour moi de ne pas faire de procès à charge, de ne pas regarder que par un bout de la lorgnette. Evidemment ça n’a pas été facile… mais j’ai veillé à dépassionner le sujet, à m’extraire justement de la tempête émotionnelle que les événements du 7 janvier ont suscité en moi. Pour cela, j’ai commencé par ne plus regarder les JT qui jouent trop sur la corde sensible à mon goût. Ce qui y est présenté n’informe ni n’engendre aucune véritable réflexion. On vous donne quelques cartes sans vous montrer le reste du jeu et on enrobe le tout d’une mise en scène dont le manichéisme n’a d’égal que la recherche de sensationnel. L’immédiateté du traitement des événements - quitte à vérifier ses sources après diffusion ou mettre en danger des otages comme ce fut le cas pour les employés de l’Hyper Casher, la crédulité entretenue des foules avides du scandale qui chassera le précédent sur les réseaux sociaux… Tout ça me navre, m’attriste. Me fait peur aussi, parce que moi-même je me retrouve parfois prise dans cet engrenage et suis tentée de sur-réagir.
 
C’est pourquoi j’ai préféré faire des recherches plus classiques, méthodiques, discuter avec des personnes qui ont côtoyé des recruteurs de djihadistes, consulter la presse écrite, étudier les témoignages d’experts, prendre le temps de vérifier les sources, de faire le tri, et surtout d’assimiler la quantité d’éléments que j’ai collectés. Ça a d’abord été un travail de recherche, une démarche intellectuelle. J’avais besoin de comprendre, d’analyser… pas d’interpréter. L’interprétation est l’ennemie de l’analyse. C’est un biais que j’essaie d’éviter au maximum, que ce soit dans mes romans ou dans ma vie privée. Pour cela, il faut déjà connaître ses limites, admettre qu’on ne comprend pas forcément tout à ce qui se joue là. Je ne suis ni une experte en géo-politique, ni en théologie. Je n’ai pas de réponse aux centaines de questions que cette situation soulève, je ne sais pas quelles sont les solutions… Je crois que pour rester objectif, il faut dépassionner le débat et rester humble, sincère dans sa démarche, humain. C’est ce qui, à mon sens, distingue un traitement honnête d’un pugilat.
 
Tu t'éloignes un peu du thriller avec ce roman, même si la construction en est proche, Est-ce pour mieux y revenir ou une envie de faire autre chose ?
 
Je suis venue à l’écriture par le thriller, parce que les intrigues me viennent facilement et qu’il était aisé de piocher dans mon expérience de psycho-criminologue pour les alimenter. D’ailleurs j’aime beaucoup écrire ce genre de romans, je ne les renie donc en rien ni ne me ferme aucune porte ! J’ai cependant la faiblesse de croire que, de même que je ne me résume pas à mon ancienne profession, je ne suis pas obligée de toujours rester dans un même genre littéraire. J’aime écrire, j’aime penser, j’aime raconter des histoires avant tout. Alors thriller, fantastique, roman noir, littérature blanche… peu m’importe le flacon pourvu que j’aie l’ivresse ! Ce qui me plaît c’est d’aller là où la vie, mon esprit, mon coeur me portent. J’ai changé depuis Echo. Je me suis affirmée, enrichie et dépouillée à la fois et mon écriture a évolué avec moi. Aujourd’hui, je ressens le besoin de parler de sujets de société, de thèmes qui me tiennent à coeur. Et Les Fauves, s’il est un thriller est aussi par certains de ses aspects - plus sociétaux - un roman noir. C’est une espèce d’hybride, ce qui me va très bien, parce que je n’aime pas les cases !
 
La prochaine actu Ingrid Desjours sera une adaptation de "Tout pour plaire". Un petit mot dessus pour conclure ?
 
Oui, Tout pour plaire va devenir une série de trois fois 52 minutes pour Arte. La date de diffusion m’est encore inconnue, peut-être parce que les scénarios sont toujours en cours de rédaction ? Pour être franche, j’ai du mal à croire à ma chance ! A réaliser qu’on me confie cette adaptation, que mes personnages vont s’incarner à l’écran, sur une chaîne comme Arte ! Je suis à la fois très honorée de la confiance qu’on m’accorde, fière de voir mon travail ainsi récompensé, reconnaissante à la vie et à toutes les personnes qui me soutiennent et qui ont porté Tout pour plaire avec moi… je pense particulièrement à mon éditeur et à mon producteur, ainsi qu’à l’équipe d’Arte qui a cru en cette folle entreprise. J’ai la chance incroyable d’être très bien entourée, de personnes bienveillantes et professionnelles. Et sans ces personnes, je n’en serais pas là. Alors voilà, ça me donne juste envie de leur dire merci et de faire le maximum pour servir au mieux ce projet commun.
 
 
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